THE LIFE OF A SHOW GIRL - TAYLOR SWIFT

Photo: The Life of a Showgirl - Taylor Swoft (2025)

Kendrick Lamar a déclaré dans un interview le 20 octobre 2020 dans le journal Rolling:


« Je passe toute l’année à réfléchir à la manière dont je vais exécuter un nouveau son ; je ne peux pas faire la même chose encore et encore. »

ROLLING, “Kendrick Lamar explains why he takes ‘so long’ to make albums”, RollingOut, Octobre 2020

Cette idée — que la bonne musique demande du temps — paraît presque étrangère dans le paysage pop actuel.

On sent toujours quand un nouvel album de Taylor Swift se prépare. Les signes sont partout : des indices cryptiques disséminés sur ses réseaux sociaux, un frémissement soudain dans la culture pop, et la roue implacable du capitalisme qui s’emballe un peu plus. Entre The Eras Tour — déjà la tournée la plus rentable de l’histoire, durant plus de trois heures et demie chaque soir — et sa victoire dans la reconquête de ses masters, Swift se trouve aujourd’hui au sommet de son pouvoir et de sa visibilité.

Alors, quand les murmures autour de son douzième album studio ont commencé, le monde écoutait déjà. Douze albums en dix-huit ans : un rythme vertigineux. Surtout si l’on considère que ses contemporaines — Beyoncé, Ariana Grande, Lana Del Rey — en ont publié entre six et huit sur la même période.

L’annonce, faite d’une manière plutôt inattendue dans le podcast sportif de son beau-frère (New Heights), avait pourtant quelque chose d’étrangement discret. La campagne de promotion, visuellement cohérente mais répétitive, étirait une même séance photo sur plusieurs semaines. L’absence remarquée aux VMAs et à d’autres grands événements a renforcé cette distance. Pour une artiste connue pour ses grands gestes, Life of a Showgirl a commencé dans un murmure plutôt qu’une explosion.

UN VIRAGE CALCULÉ

Crédit Photo: Taylor Swift The Eras Tour The Folklore Set Era, Paolo Villanueva (@itspaolopv), WikiCommons, Août 2023,


S’il y a bien une chose que Taylor Swift maîtrise, c’est l’adaptation. Chaque album semble répondre au discours qui entourait le précédent. Reputation a rejeté son image trop lisse ; Lover a répliqué avec un optimisme technicolor. Lorsqu’on l’a accusée de viser un public trop jeune, elle s’est tournée vers la narration indie de Folklore et Evermore. Puis vint Midnights, un retour à une pop soyeuse et introspective.

Mais Midnights fut critiqué pour son flou : « trop vague, trop évasif ». En réaction, The Tortured Poets Department est allé à l’extrême inverse — verbeux, tentaculaire, presque littéraire — avant d’être à son tour jugé « trop, sans assez de fond », même si je pense que c’était un des meilleurs albums de l’année 2024. 

Avec Life of a Showgirl, Swift semble avoir retenu la leçon. L’album cherche à corriger ces excès : douze titres resserrés, calibrés pour la radio. Elle renoue même avec Max Martin, l’architecte du son de 1989 et l’un des plus grands artisans de la pop, derrière des hymnes tels que …Baby One More Time (Britney Spears), I Kissed a Girl (Katy Perry), Blinding Lights (The Weeknd) ou Since U Been Gone (Kelly Clarkson).

Là où Jack Antonoff apportait intimité et introspection, Martin impose précision et rigueur. Chaque refrain semble conçu pour frapper juste. Et c’est exactement ce que Swift semble rechercher : retrouver la netteté de la pop après trois années de débordement lyrique. Sa collaboration renouvelée avec Martin — et Shellback — marque un retour aux sources : celui de la perfection pop de son âge d’or.

LE POIDS DE LA VITESSE

Comme on a établi auparavant, Taylor avance à un rythme impossible. En cinq ans, elle a sorti cinq albums studios, réenregistré une grande partie de son œuvre, et assuré la tournée la plus monumentale de l’histoire. Life of a Showgirl a été écrit entre les avions, arrêts de bus ; elle a même avoué qu’à certains moments, elle ne pouvait plus lever les bras. Cette fatigue s’infiltre dans la musique : on entend l’épuisement dans les irrégularités du disque.

RÉCEPTION: UNE CRITIQUE UNANIME

Crédit Photo: Taylor Swift The Eras Tour Fearless Set Era, Paolo Villanueva, WikiCommons, Août 2023

Comme prévu, la sortie fut cataclysmique. Chaque album de Swift met le monde en feu — mais cette fois, les flammes ont vacillé. Même les fans les plus fidèles paraissaient partagés. En dehors du Rolling Stone (fidèlement dithyrambique avec son 100/100), la critique a surtout parlé de manque de cohérence et d’écriture inégale, comme le journal, The Guardian qui l’a attribué un 40 / 100 ). Et, honnêtement, elle n’a pas tort.

Life of a Showgirl promettait un grand concept — paillettes et lassitude, la fatigue sous les projecteurs. Le titre, les multiples pochettes vinyles, l’imagerie, tout annonçait une réflexion introspective sur la célébrité. Mais ce que l’on trouve surtout, ce sont des chansons d’amour sans lien clair avec ce thème. La force de Swift a toujours été de rendre l’intime universel, mais ici, ses métaphores s’effondrent sous leur propre poids.

Ce n’est pas qu’elle ne sache pas créer en étant heureuse — elle l’a prouvé avec False God, Invisible String, Paper Rings ou Mastermind. Le problème, c’est qu’elle prétend livrer un récit majeur tout en offrant un disque éparpillé. Avec des phrases comme « Did you girlboss too close to the sun? » ou « I’m not a bad bitch, and this isn’t savage », on a l’impression que sa dernière référence culturelle date de Twitter 2016.

D’autre part, dans la chanson Wishlist, elle exprime le désir de fuir l’excès, de retrouver une vie simple avec son amoureux. Une aspiration contredite par la mise en scène publique de sa relation avec Travis Kelce et le marketing effréné du disque : innombrables vinyles, sans valeur ajoutée. L’ironie est totale : la chanson rêve d’authenticité tandis que la machine s’emballe.

Ainsi, ses tentatives d’audace — façon Sabrina Carpenter« He dickmatized me » ou « His love was the key that opened my thighs » sonnent plus forcées que provocantes. Et la ligne « Every eldest daughter was the first slam to the slaughter, so we all dressed up as wolves and we looked fire » veut trop dire pour ne rien dire : une écriture paresseuse, presque maladroite.

ÉCLATS DE BRILLANCE

Tout n’est pas perdu. Father Figure montre Swift savourant sa puissance, se voyant en Logan Roy de Succession, jouant avec sa propre domination. Elizabeth Taylor médite sur l’absurdité et la longévité de sa célébrité. Quelques accents Jackson 5 et des moments de théâtralité dans le morceau final viennent épicer une production autrement sage. Ces éclats laissent deviner un concept plus riche, enfoui sous une paillette grise.

Mais pour une artiste dont la discographie vit de cohérence narrative, ce disque paraît étrangement indécis. La “showgirl” ne monte jamais vraiment sur scène.

AU-DELÀ DE L’ART: LA MACHINE EN MARCHE

Quoi qu’en disent les débats artistiques, les chiffres racontent une autre histoire. Life of a Showgirl a battu des records dès sa sortie — dépassant 25 d’Adele pour les ventes américaines de première semaine et faisant officiellement de Taylor Swift l’artiste féminine la plus écoutée de l’histoire, selon The Guardian. Sur Spotify, l’album est devenu le plus streamé en une seule journée cette année, avec un titre phare franchissant les 30 millions d’écoutes en vingt-quatre heures.

Mais c’est bien là le cœur du problème : peu importe, au fond, que le disque soit bon ou non. Taylor Swift a dépassé la notion même de succès artistique. Son nom seul garantit l’omniprésence culturelle. Elle est entrée dans sa phase Avengers : chaque “édition” se vendra à millions, qu’elle innove ou qu’elle se répète.

LA PATIENCE, DENRÉE RARE


Au fond, Life of a Showgirl est plus qu’un album : c’est le symptôme d’un métabolisme pop en surchauffe. À une époque où des artistes comme Tate McRae sortent un disque par an pour rester visibles, la profondeur s’évapore. Le rythme des sorties ne suit plus la création, mais la demande.

La meilleure musique, elle, fermente. Elle grandit dans le silence avant d’exploser dans la culture. C’est pourquoi des artistes comme Olivia Rodrigo ont trouvé le bon tempo : vivre, écrire, attendre, publier. Chaque année n’a pas besoin d’une “nouvelle ère”.

Reste à savoir si Taylor Swift saura ralentir pour retrouver cette patience. Pour l’instant, Life of a Showgirl est à la fois triomphe et avertissement : un spectacle étincelant qui rappelle qu’à trop briller, même les étoiles peuvent se consumer.


Un Article de Raimundo Olave


SOURCES:

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